Æquus Noctis

22 septembre 2025

Équinoxe, de Catulle à Desnos

Æquus Noctis : la Nuit égale... égale au Jour.

Nous y sommes...

Deux fois par an, la Terre connaît un moment d’équilibre fragile : le jour et la nuit s’y partagent le temps à parts égales. C’est l’équinoxe, seuil discret entre deux saisons, carrefour des lumières. Ce point d’équilibre cosmique n’a pas échappé aux écrivains : il porte en lui une charge symbolique, un souffle de passage, une manière de dire que toute existence oscille entre clarté et obscurité, commencement et fin.


Dans la littérature, l’équinoxe devient souvent une image de l’entre-deux. Il est la suspension du temps, comme un battement de cœur arrêté avant le recommencement. Les poètes romantiques y ont vu une promesse d’harmonie : la nature réglée comme une horloge céleste, l’homme accordé au cosmos. D’autres écrivains, plus mélancoliques, y lisent l’annonce du déséquilibre à venir : après l’égalité, le basculement, l’hiver qui s’avance ou l’été qui s’efface.


L’équinoxe d’automne a souvent inspiré les méditations sur le déclin, la chute des feuilles, la fin des amours ou l’approche de la vieillesse. L’équinoxe de printemps, au contraire, ouvre les pages les plus claires : germination, renaissance, jeunesse qui recommence. Entre l’un et l’autre, la littérature déroule la grande dramaturgie du cycle naturel : mourir et renaître, s’effacer et recommencer.


Et parfois, un seul vers suffit. Comme chez Catulle et Desnos...

 

Un seuil éternel


Deux mille ans séparent Catulle, poète latin du Ier siècle avant notre ère, et Robert Desnos, figure surréaliste et résistante du XXᵉ siècle. Pourtant, l’un et l’autre ont choisi l’équinoxe comme motif poétique.


- Chez Catulle, l’équinoxe de printemps (dans le Carmina 46) marque le moment où les vents se calment, où les zéphyrs rendent la mer navigable : symbole de départ, d’élan vital et de voyage.


- Chez Desnos, dans Contrée (1944), l’équinoxe apparaît au contraire dans le tumulte de la guerre. Plus même, elle est ce tumulte... C'est le temps des fureurs et des tempêtes, mais aussi celui du basculement, et l'espoir brille au sein des sombres nuées.


Entre ces deux visions, une même intuition : l’équinoxe n’est pas un simple point d’équilibre astronomique, mais un seuil poétique, où le monde cherche un nouveau élan..



Catulle, un poète à l’heure du nouveau départ


Catulle, né à Vérone et actif à Rome, appartient à la génération des poetae novi, ces poètes qui ont donné à la littérature latine une forme lyrique intime, inspirée de Sappho et Callimaque. Ses poèmes oscillent entre invectives, éclats amoureux (surtout autour de sa célèbre maîtresse Lesbia) et pièces de circonstance.


Dans le poème 46, il se détourne de ses tourments personnels pour s’adresser au monde extérieur : les saisons, le temps, le désir de partir.

Voici le passage clé ;


« iam caeli furor aequinoctialis iucundis Zephyri silescit aureis  »


« Déjà la fureur équinoxiale du ciel s’apaise sous les doux souffles dorés de Zéphyr. »


L’équinoxe comme repère pratique...


Le voyage antique n’était pas une affaire de hasard : il fallait respecter les saisons de navigation. Durant l’hiver, les mers étaient jugées trop dangereuses. Le retour du printemps, au moment de l’équinoxe de mars, marquait la reprise des grands déplacements.


Le poème traduit cette réalité : le zéphyr, vent doux d’ouest, remplace les bourrasques équinoxiales. Le monde redevient navigable. Pour Catulle, cela signifie : l’heure est venue de quitter Rome et de reprendre la route vers l’Asie Mineure.


... et métaphore du départ existentiel


Mais au-delà du détail nautique, Catulle inscrit l’équinoxe dans une logique symbolique : c’est le seuil entre immobilité et mouvement, entre enfermement et ouverture.

L’hiver : le temps clos, l’attente, l’arrêt.

Le printemps équinoxial : le temps de l’élan, de la lumière, du recommencement.


Chez Catulle, l’équinoxe n’est pas seulement un repère astronomique : il devient une métaphore de l’élan vital, du désir de voyage et de découverte.


De l’Antiquité à la littérature de voyage moderne


Ce que dit Catulle au Ier siècle av. J.-C. résonne dans toute la littérature de voyage postérieure :

- Les pèlerins du Moyen Âge, qui partaient souvent après Pâques, fête liée à l’équinoxe de printemps.

- Les navigateurs de la Renaissance (Pigafetta, Magellan) attentifs aux vents équinoxiaux.

- Les écrivains voyageurs modernes, comme Nicolas Bouvier, qui notent combien la route change avec la bascule des saisons.


L’équinoxe, moment où « la mer redevient praticable », devient aussi un symbole d’écriture : la bascule entre silence et récit, entre attente et départ.



Desnos, un poète au coeur de l'Histoire


Robert Desnos (1900-1945) fut d’abord l’une des grandes voix du surréalisme, inventif, rêveur, maître des images visionnaires. Mais la guerre transforma son rapport à la poésie : résistant actif, il continua d’écrire au cœur de l’Occupation. Arrêté par la Gestapo en 1944, il fut déporté à Auschwitz, Buchenwald, Flöha puis Terezín, où il mourut du typhus en juin 1945, quelques semaines après la libération du camp.


L’équinoxe est tumulte...

« L’équinoxe roulant ses tonneaux à grand-peine… »


Publié en pleine guerre, Contrée mêle formes classiques et images surréalistes. Le sonnet « L’Équinoxe » illustre la tension entre équilibre et chaos. Loin de l’harmonie attendue, l’équinoxe y apparaît comme un moment pénible, « roulant ses tonneaux à grand-peine », image sonore et lourde d’un monde qui bascule.


Ce tumulte n’est pas seulement cosmique : il est aussi historique. Les « tonneaux » évoquent à la fois les grondements des saisons et le fracas de la guerre. Comme souvent chez Desnos, la nature devient allégorie de l’époque : l’Occupation, les menaces, mais aussi la possibilité d’un passage vers autre chose.


... mais il passera.

Car malgré le vacarme, le sonnet s’achève sur un vers de lumière : « Oui, car la flamme enfin, dans le brouillard s’allume. »

Cette conclusion transforme l’équinoxe en promesse. Même au cœur de la confusion (« le brouillard »), une flamme s’élève. Elle peut être destructrice, mais elle est surtout espérance.


Desnos pensait sans doute davantage à l’équinoxe de printemps, qui marque le retour des beaux jours et l’allongement de la lumière. Dans le contexte sombre de 1944, ce choix résonne comme une métaphore de la Résistance : après l’hiver de l’Occupation, un renouveau est possible. La flamme qui s’allume, c’est celle de l’espérance obstinée.

L’Équinoxe : d’un côté, le vacarme du monde en lutte, de l’autre, une lumière fragile qui surgit malgré tout.


Desnos nous a ainsi laissé un poème de combat et d’espérance. Sa voix, éteinte trop tôt dans les camps, nous rappelle que la poésie peut dire la nuit et la peine, mais aussi garder intacte la flamme du renouveau.


Car si l'équinoxe d'automne annonce l'hiver qui régnera en son solstice, le grand livre cosmique nous apprend qu'il y aura d'autres équinoxes, d'autres passages vers le printemps et l'été...


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