Chaque 18 août, les amateurs de littérature se souviennent d’Honoré de Balzac, disparu ce jour en 1850. Cet anniversaire, discret en France, est l’occasion idéale de se demander : que reste-t-il aujourd’hui de Balzac… à l’autre bout du monde, en Chine ?
Une première rencontre...
En 1842, Balzac signe quelques articles pour un album de son ami peintre Auguste Borget, La Chine et les Chinois. Borget revient alors d’un long voyage en Asie, carnet à la main, prêt à livrer aux Européens curieux des dessins, des scènes et des anecdotes ramenées de Canton et de Macao. Balzac, qui n’a jamais mis les pieds en Orient, s’en empare pour écrire quelques pages à sa manière, où se mêlent admiration et distance.
Il parle des Chinois comme d’une « race ancienne, policée, et pourtant si différente de nous », et loue chez Borget « l’œil neuf » et « la main prompte » capables de saisir ce peuple si difficile à comprendre pour l’Occident. Tout est dit : la fascination pour une civilisation vieille de plusieurs millénaires, et l’éloignement que creusent les stéréotypes. Pour Balzac, la Chine reste un monde mystérieux, qu’il ne peut approcher qu’au travers du regard d’un autre.
Ironie de l’histoire : un siècle plus tard, la situation s’inverse. Ce sont les Chinois qui lisent Balzac. Et pas de façon marginale : l’auteur de
La Comédie humaine devient un classique de leurs bibliothèques, de leurs écoles, de leurs universités.
Les débuts : traduire Balzac en Chine
La première grande traduction date des années 1930, avec
Eugénie Grandet. Le roman, rendu en chinois par Mu Mutian en 1936, touche un public surpris par la profondeur de son héroïne, enfermée dans un destin d’obéissance. Dans cette société française décrite par Balzac, les lecteurs chinois reconnaissent des contraintes universelles : poids de la famille, entraves à l’amour, tyrannie de l’argent.
Dès lors, Balzac devient l’un des écrivains européens les plus traduits en Chine.
Le Père Goriot, La Cousine Bette, Les Illusions perdues suivent. Les traductions se multiplient, souvent portées par des traducteurs de renom comme Fu Lei, Zhang Guanyao ou Zheng Yonghui. Chacun contribue à établir une version chinoise de
La Comédie humaine, parfois abrégée, parfois annotée pour rendre intelligible un univers social éloigné.
Balzac à l’école et à l’université
Le succès de Balzac ne se limite pas aux lecteurs cultivés des années 1930. À partir de la fondation de la République populaire de Chine, sa présence s’affermit, notamment dans les cursus scolaires. Aujourd’hui encore, ses romans figurent parmi les lectures recommandées par le ministère de l’Éducation. Dans les universités, il est étudié comme un maître du réalisme, aux côtés de Victor Hugo.
On retient de lui sa minutie descriptive, sa capacité à bâtir des personnages types : l’avare, l’ambitieux, la passionnée... et sa lucidité sur les rapports de pouvoir et d’argent. Pour les étudiants chinois, Balzac n’est pas seulement un romancier étranger : il est une école de lecture, une manière d’apprendre à observer la société.
Pourquoi plaît-il ?
Les raisons de ce succès tiennent aux thèmes universels que Balzac explore, et qui trouvent en Chine une résonance particulière.
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L’ascension sociale : Rastignac, jeune ambitieux lancé à l’assaut de Paris, fait écho à des générations chinoises plongées dans une société en pleine mutation, où la réussite individuelle est exaltée mais semée d’embûches.
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Les contraintes familiales : qu’il s’agisse d’Eugénie Grandet ou de
la Cousine Bette, les destins se heurtent aux pressions de la famille et aux calculs d’héritage. Ces thèmes résonnent dans un pays où la piété filiale et les solidarités familiales pèsent encore fortement.
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La société en mutation :
La Comédie humaine fascine par son ampleur. Elle montre une société en transformation, ses inégalités, ses luttes, ses illusions. Pour des lecteurs chinois confrontés aux bouleversements du XXe siècle, cette peinture d’un monde en mouvement a trouvé une forte résonance.
Balzac en écho : l’effet Dai Sijie
Mais Balzac a aussi pris en Chine une autre dimension grâce à un roman contemporain. Dans
Balzac et la Petite Tailleuse chinoise (2000), Dai Sijie raconte l’histoire de deux adolescents envoyés en rééducation pendant la Révolution culturelle. Leur quotidien est transformé lorsqu’ils découvrent une valise remplie de livres interdits. Parmi eux, Balzac, dont les intrigues d’amour et d’ambition éveillent leur imaginaire et bouleversent la jeune Tailleuse.
Ici, Balzac n’est plus un écrivain réaliste, mais un passeur de liberté, un initiateur clandestin. Le succès du roman, puis de son adaptation cinématographique, a fixé dans la mémoire collective l’image d’un Balzac « interdit et libérateur », compagnon secret des lectures de jeunesse.
Réserves et critiques
Tout n’est pas simple pourtant. Le style de Balzac, dense et foisonnant, effraie certains lecteurs. Dans les années 2000, des critiques chinois ont noté que son nom, s’il restait respecté, parlait moins au public : on connaît quelques titres, quelques personnages, mais rarement l’ensemble de
La Comédie humaine.
Malgré cela, la place de Balzac demeure solide. Ses traductions continuent d’être publiées, ses romans sont étudiés, et son nom reste associé au réalisme littéraire.