959
29 septembre 1066 – 29 septembre 2025

Aujourd’hui, nous commémorons le 959ᵉ anniversaire du débarquement de Guillaume de Normandie en Angleterre, à Pevensey. Cet épisode, souvent résumé à la bataille d’Hastings, fut en réalité le point de départ d’une transformation profonde du royaume anglo-saxon et, à bien des égards, de l’Europe médiévale. Dans un an, en 2026, nous marquerons le 960ᵉ anniversaire, l’occasion de revenir encore plus largement sur ce moment fondateur.
Mais ce débarquement n’est pas seulement un fait militaire. Il a nourri des récits, inspiré des poètes et façonné une mémoire littéraire qui s’étend de la Tapisserie de Bayeux aux tragédies de Shakespeare, de Chaucer à David Jones.
Une expédition au souffle épique
À Saint-Valery-sur-Somme, Guillaume réunit sa flotte. Les chroniqueurs évoquent des centaines de navires, bénis et ornés de bannières sacrées. Les contemporains y virent une entreprise extraordinaire, qui marquait l’histoire du duché comme celle de l’Angleterre.
Pour l’imaginaire moderne, ce départ rappelle les épopées antiques. Comme les Achéens vers Troie, les Normands partent vers une terre étrangère pour y imposer leur droit et leur destin. Une comparaison anachronique, certes, mais qui souligne la dimension quasi mythique que l’on attribuera par la suite à cet embarquement.
La Tapisserie de Bayeux : une épopée brodée
La Tapisserie de Bayeux, longue de près de 70 mètres, raconte la conquête de l’Angleterre, de la mission d’Harold jusqu’à la victoire d’Hastings. Elle montre la traversée de la Manche, le débarquement des troupes et même les chevaux ramenés à terre.
Cette œuvre n’est pas seulement un document visuel : elle est aussi un récit politique, une véritable chanson de geste textile, conçue pour glorifier la légitimité de Guillaume et inscrire la conquête dans un horizon providentiel.
Chroniques : deux visions d’un même jour
Deux traditions textuelles coexistent :
- La Chronique anglo-saxonne décrit l’arrivée des Normands avec une sobriété qui reflète l’angoisse d’un royaume déjà éprouvé par d’autres invasions.
- Guillaume de Poitiers, dans sa Gesta Guillelmi, raconte l’événement comme une victoire de la Providence, mettant en scène le duc comme l’élu de Dieu face à Harold Godwinson.
L’une fait du 29 septembre l’annonce d’une catastrophe, l’autre la promesse d’une gloire.
De Shakespeare à David Jones : la mémoire de 1066
Le débarquement de 1066 marque durablement la mémoire culturelle anglaise.
- Shakespeare, même s’il n’évoque pas directement Guillaume, reprend des thèmes hérités de ce traumatisme fondateur : légitimité du pouvoir, usurpation, droit divin et violence de la conquête (dans Macbeth, Richard III, Henri IV…).
- Chaucer, au XIVᵉ siècle, compose ses Canterbury Tales en moyen anglais, langue née du mélange du vieil anglais et du normand. Sa littérature illustre concrètement l’héritage linguistique du débarquement.
- Au XXᵉ siècle, le poète moderniste David Jones, dans The Anathemata (1952), inscrit Hastings parmi les « moments d’origine » qui façonnent l’identité britannique.
Une révolution culturelle
La conquête normande fut à la fois militaire, politique, linguistique et culturelle. En mêlant le vieil anglais aux apports du normand, elle engendra l’anglais médiéval, puis moderne, qui deviendra la langue de Shakespeare, de Chaucer et de la littérature mondiale.
Ainsi, ce 29 septembre 1066, que nous commémorons aujourd’hui 959 ans plus tard, ne fut pas seulement un débarquement : il fut l’aube d’une nouvelle civilisation.

L'arrivée de la flotte de Guillaume de Normandie à Pevensey. La Tapisserie de Bayeux.
Bibliographie sélective
Sources médiévales
- The Anglo-Saxon Chronicle, éd. et trad. Michael Swanton, Routledge, 1996.
- Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi ducis Normannorum et regis Anglorum, éd. R. H. C. Davis & Marjorie Chibnall, Clarendon Press, 1998.
- La Tapisserie de Bayeux, éd. Lucien Musset, Zodiaque, 2005.
Littérature médiévale et renaissante
- Geoffrey Chaucer, The Canterbury Tales, éd. et trad. Nevill Coghill, Penguin Classics, 2003.
- William Shakespeare, The Histories (Henri IV, Henri V, Richard III, etc.), Oxford World’s Classics, diverses éditions.
Réinterprétations modernes
- David Jones, The Anathemata, Faber & Faber, 1952.
- Lucien Musset, La Tapisserie de Bayeux, Zodiaque, 2005.
- David Bates, William the Conqueror, Yale University Press, 2016.
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